par Guillaume Robert (Endurance-Info.com)
Que ce soit sur un circuit avec quelques spectateurs, autour d’une table entre passionnés ou bien sur la toile par écrans interposés, lorsque l’on échange sur le sport automobile et ses diverses disciplines, un sujet revient régulièrement dans les conversations : la décoration des voitures. Nous vous proposons donc une série d’articles afin de développer le sujet en commençant par une petite phase historique, ainsi que l’avis de plusieurs passionnés.
Un sujet dont l’importance ne semble pas être la même dans l’esprit du public que dans le cahier des charges des équipes ou bien même des constructeurs. Bien que certains jouent le jeu, officiels ou privés, force est de reconnaître que la créativité et l’originalité ne remplissent plus les grilles en endurance. Je dis bien plus, car même si jusque dans les années 60 et tout début 70, les voitures prenant part aux épreuves ne portaient sur elle qu’une robe unicolore sur lesquelles un simple numéro de course était apposé, les années qui suivirent, jusqu’à la fin des années 90 (exception faite de quelques années où les plateaux étaient peu garnis), les pelotons ne manquaient pas de couleurs !
Souvenez-vous des grilles du Championnat du Monde Sport Prototypes avant les années 90 où les écuries privés et les usines jouaient le jeu : Porsche 956 “Repsol” (Brun Motorsport), “Shell” (officielles), “New Man” (Joest Racing), “Kenwood” (Kremer), Mazda 787B “Renown”, Jaguar XJR “SilkCut”, Mercedes “Kouros” et autres Rondeau aux diverses livrées. Il est vrai que par la suite, Loi Evin oblige, beaucoup ont du se passer de leur sponsor principal, et par conséquent des couleurs allant avec dans certains cas. Ceux qui ont connu le renouveau du Grand Tourisme (dès 1994) avec le championnat BPR (Barth-Peter-Ratel) vous le confirmeront, là aussi les plateaux étaient riches en couleurs ! Par la suite les choses ont commencer à changer (fin des années 90), et pas nécessairement dans le bon sens pour beaucoup de ces passionnés.
Certes, d’après eux, ce qui manque sur les grilles ce ne sont pas les couleurs, car il faut bien reconnaître que la diversité est présente de ce côté là, mais ce qui semble faire défaut, c’est l’originalité des réalisations. Il est pourtant possible d’avoir un sponsor principal identique (et donc ses couleurs) sur plusieurs saisons sans pour autant réaliser systématiquement la même livrée chaque année. De nos jours, grâce à l’informatique, la conception et la réalisation d’une décoration peux se faire beaucoup plus simplement que dans les années 80 ou même 90. Il suffit de voir ce qu’il se fait en NASCAR depuis plusieurs saisons où avec la Conception Assistée par Ordinateur (CAO), on crée sur écran l’ensemble de la livrée sur une image 3D de l’auto, on imprime ensuite plusieurs éléments distincts (les deux côtés, l’avant, l’arrière, le pavillon, etc) qu’ils ne restent plus qu’à apposer sur la voiture.
Aujourd’hui, et cela depuis plus d’une dizaine d’années, il faut bien reconnaître que la “sobriété” est de mise chez les constructeurs, et on ne peux que le regretter. Plus ou peu de couleurs, pas ou peu de changements d’une saison à l’autre et à notre époque où le moindre kilo est chassé, certaines parties des autos n’ont même plus le droit à leur touche de peinture ou morceau de vinyle de couleur. Certains privés n’échappent pas à la règle, mais là, il est probable que la question budgétaire soit également une des clés de l’équation.
Lorsque l’on aborde la question avec quelques personnes, certains propos reviennent régulièrement : manque d’originalité, banale, pas ou peu de signes distinctifs entre plusieurs autos d’une même équipe, les équipes n’osent plus, les constructeurs ont le budget mais ne veulent pas faire d’efforts pour cela, etc…
David Usal, qui a réalisé plusieurs livrées ces dernières années en endurance (WR Welter Racing, Corvette C6-R Luc Alphand Aventures, Ferrari 458 GTE Luxury Racing, Peugeot 908 ORECA et ORECA 03 P2 et ORECA P1 hybride Hope Racing) nous donne son avis sur cette évolution.
“Selon moi, d’un point de vue général, je pense que cette notion de décoration a évolué dans le bon sens à ce jour. Cela est certainement dû au développement des médias, aux contraintes de mise en avant des partenaires et aux différentes techniques de créations de livrées (complexes ou non) beaucoup plus simples qu’auparavant.”
Cinq passionnés, qui sillonnent les circuits depuis de nombreuses années, ont accepté de répondre à nos questions et sur ce point leur opinion est plutôt partagé.
Frédéric Rendu : “Globalement, mis à part quelques opérations “one shot”, je trouve les décos trop tristes de nos jours. Même s’il est vrai qu’il y a de l’amélioration depuis deux ou trois saisons. Pour moi, les livrées des Audi et Porsche officielles sont d’une tristesse affligeante. Quand je vais sur un circuit, j’ai envie d’en prendre plein les yeux, pas pour voir du blanc, du gris et du noir. J’ai toujours été fan des décos réalisées par les équipes américaines, avec leurs gros numéros et des livrées qui flashent un peu plus, je prends pour exemple les livrées Tequila Patron sur les Ferrari 458, là oui, je suis fan !
A vrai dire, je suis toujours en admiration devant les décorations dites “classics” (Gulf, Martini, Momo, Jagermeister, etc.), car ce sont ces livrées qui m’ont fait aimer le sport auto créant par la même des souvenirs impérissables. Je pense qu’il faudrait oser un peu plus comme l’a fait le Flying Lizard en 2011 avec ses livrées “Troy Lee Design” ou encore Aston Martin avec sa Vantage GT3 aux couleurs Bilstein qui roule en VLN. Parfois j’ai le sentiment d’être un vieux con, et adepte du “c’était mieux avant” !
Matthieu David : “Pour moi, l’évolution s’est surtout porté sur le sponsoring et non pas sur les livrées en elles mêmes. Globalement, autrefois les sponsors en Europe étaient grand public, comme cela se fait encore aux Etats-Unis, et depuis toujours. On avait des sponsors de marque de supermarché, de produits de première nécessité, des parfums, de la presse (je me souviens par exemple de la Porsche 962 “LUI”…), etc. , alors que maintenant, nous avons à faire à beaucoup de sponsors anonymes pour une grande majorité des spectateurs, d’où des décorations moins intéressantes. Mais je dois admettre que beaucoup d’équipes commencent à jouer le jeu et ont certainement compris que cette communication est importante. Mais à contrario, je déplore les livrées “trompe-l’oeil” de certaines grosses équipes comme Audi Sport avec les R18 de ces dernières années… L’oeil est perdu !
Pour conclure, je dirai que l’évolution va dans le bon sens en Europe, de gros efforts commencent à être faits en endurance et en GT. La décoration est devenue très importante depuis une dizaine d’années, et c’est tant mieux ! On est maintenant loin de ce qu’il se faisait il y a quinze ou vingt ans avec deux ou trois autocollants collés ici ou là, sans cohérence.“
Thomas Courtonne : “De manière générale, la plus grosse évolution se trouve dans le travail des décorations. Aujourd’hui, elles sont plus recherchées, plus travaillées, surtout dans les équipes privées. Quant on regarde les “privés” dans les années 80, soit les voitures étaient à dominante blanche avec quelques traits ou liserés de couleur (avec le nom du sponsor en gros), soit elles étaient de couleur unie (orange, bleu, jaune) avec très peu de variation. Je pense qu’à l’époque, on se souciait juste d’avoir le sponsor et rien de plus. Le reste n’avait pas grande importance !
Aujourd’hui, la plupart des teams privés font un effort sur le graphisme de la décoration ainsi que les couleurs utilisées. Certaines livrées sont très travaillées avec des résultats plus ou moins convaincants et je crois que les écuries ont pris conscience que le marketing passait aussi par ce travail sur la décoration.
Chez les teams de pointe, la différence que je perçois entre les années 80 et aujourd’hui, c’est qu’avant les voitures étaient entièrement recouvertes aux couleurs des sponsors, souvent des cigarettiers ou des marques d’alcool et les livrées n’étaient pas plus fantaisistes que celles d’aujourd’hui, mais ces couleurs ont marqué des générations et resteront inoubliables. Tout le monde se souvient des Lancia aux couleurs Martini, des Porsche 956 “New-Man” ou “Rothmans”, des Jaguars “Silk Cut” ou encore des Mazda orange et verte “Renown” (bien plus célèbres que les livrées de Mazdaspeed !).
Dans l’ensemble, je pense que l’on retient toujours mieux une voiture aux couleurs d’un sponsor, car il s’agit d’une marque ou d’une entreprise dont les couleurs et le logo ont été soigneusement étudiés pour être reconnaissables et rester dans l’inconscient collectif. C’est moins le cas lorsque le team accouche de sa propre livrée. Pour donner un exemple, je pense vraiment que deux ou trois campagnes d’Audi Sport avec une R18 aux couleurs de Martini aurait laissé plus d’impact dans la mémoire collective.
Et c’est le principal défaut que je formule aux livrées actuelles, je trouve qu’elles ont perdu en identité visuelle, elles ne sont plus reconnaissables au premier coup d’œil. En 2014, je me suis souvent surpris à confondre les Audi R18 et les Porsche 919 du coin de l’œil. À part quelques exceptions, comme le vert Pescarolo ou le jaune Corvette, les voitures des années 2000-2010 ne vont pas laisser de souvenirs impérissables au niveau de leurs couleurs. Qui se souvient de la livrée des Audi en 2011 ? Un coup c’est gris, puis c’est noir, et ensuite ça passe au blanc… C’est sobre, mais ça ne marque pas les esprits. Il n’y a qu’à voir la déco des Porsche l’année dernière, du blanc avec des bandes de scotch gris… On aurait presque voulu qu’elles adoptent le vert et rouge de la marque “DMG MORI” au lieu d’adopter cette livrée sans intérêt !
Ce qui me gêne un peu également, c’est que beaucoup de teams changent tous les ans de livrée. Dans mes souvenirs, c’était moins le cas il y a trente ans. Certains diront que c’est une bonne chose car on a de la nouveauté à chaque édition, ce qui est un argument valable, mais le revers de la médaille, c’est que ces décorations n’ont pas le temps de s’inscrire dans la mémoire des passionnés. Si on se souvient des Porsche Rothmans ou des Jaguar Silk Cut, c’est aussi parce qu’elles ont gardé la même livrée pendant plusieurs années consécutives.
Quoiqu’il en soit, celui qui fait rouler des voitures à la livrée reconnaissable entre mille aura toujours raison. Aujourd’hui, pour moi, ces voitures sont par exemple, les Corvette et leur jaune historique ou le Krohn Racing qui roule depuis des années avec son traditionnel vert pomme.“
Stéphane Locmane : “Je pense que les livrées ont plutôt bien évolué, même si les sponsors emblématiques comme Gulf ont toujours la côte auprès du public (Les Lola-Aston LMP1 étaient fabuleuses). J’ai trouvé les décos “Art Cars” comme la BMW M3 “Jeff Koons” ou la Morgan LM P2/OAK et l’Aston Martin Vantage de 2013 vraiment belles. Bien sur la disparition des cigarettiers nous a privé de belles livrées (Silk Cut, Rothmans, etc.) mais globalement je trouve que les “robes” actuelles n’ont rien à envier aux anciennes. Les Peugeot 908 étaient jolies, tout comme les Toyota de ces dernières années, alors que pour les Porsche 919, je suis moins fan de la décoration que de l’auto en elle même.“
Philippe Bouillot : “Du bleu France, au rouge Italien, en passant par le jaune Belge, le gris Allemand ou encore le vert Anglais sans oublier le bleu acier des USA, je suis passé aux inégalés orange et bleu Gulf, rouge et blanc Marlboro ou noir et or JPS. Et depuis de nombreuses années, je vois désormais défiler sous mes yeux des autos devenues de véritables espaces publicitaires tellement chers du centimètre que la multiplicité des sponsors est devenue nécessaire pour une bonne partie des équipes afin d’assurer le financement d’une voiture. Il n’y a guère que les grosses structures qui peuvent se passer de ce surplus de publicité. En résumé, je dirai qu’il n’y a plus, ou peu de place pour les belles décorations aujourd’hui…”
L’inter-saison qui touche à sa fin, va très vite laisser place aux premières heures de roulage de l’année, et bien qu’il ne faille pas s’attendre à voir autre chose que des autos quasi vierges de décorations à cette occasion, ce qui est somme toute logique pour ces premiers tours de roues, pouvons-nous espérer être agréablement surpris d’un point de vue décos lors des premières manches respectives de chacun des championnats majeurs ?
Et si justement tout le monde nous surprenait ? Qu’Audi fasse dans le plus lisible, Toyota dans le changement, Porsche dans le coloré ou encore dans l’innovation pour Nissan qui a su si bien le faire avec sa LMP1. Wait and see…tomorrow ...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire