Avec le recul, la destinée de Jean Rédélé paraît évidente. Bercé dès son plus jeune âge dans un univers où automobile, compétition et Renault étaient les maîtres-mots, il s’est aussi démarqué par une vision avant-gardiste de la technologie et du commerce. Né le 17 mai 1922, Jean est le fils aîné d’Émile Rédélé, concessionnaire Renault à Dieppe après avoir été le mécanicien attitré de Ferenc Szisz, premier « pilote d’usine » de la Marque au début du siècle. Dès la fin de ses études à HEC, Jean est remarqué par la direction générale de Renault pour ses idées commerciales novatrices. À seulement 24 ans, il devient le plus jeune concessionnaire de France en prenant la suite de son père.
Considérant que la course est le meilleur banc d’essai pour les modèles de série et que la victoire est le meilleur argument de vente, Jean Rédélé participe à ses premières compétitions à l’âge de 28 ans. Après un coup d’essai au Rallye Monte-Carlo 1950, il remporte le tout premier Rallye de Dieppe au volant de la nouvelle 4CV, face à des modèles bien plus puissants! Ce succès au retentissement national conduit Renault à lui fournir une 4CV ‘1063’ – la version spéciale course – pour la saison suivante. Tout en décrochant de nouveaux succès, Jean Rédélé cherche à améliorer les performances de son bolide. Sa quête le mène jusqu’en Italie, chez Giovanni Michelotti. Il lui commande une 4CV Spéciale Sport, caractérisée par une carrosserie en aluminium bien plus aérodynamique que le modèle d’origine. Au fil du temps, cette collaboration entre le rallyman français et le styliste italien donnera naissance à trois exemplaires uniques.
En attendant la livraison de sa nouvelle arme, Rédélé poursuit sa carrière au volant de la ‘1063’. Concessionnaire Renault à Paris et Etampes, son ami Louis Pons devient son équipier. Toujours en quête de performances, le duo finance le développement d’une boîte de vitesses à cinq rapports, conçue par André-Georges Claude. Cet artifice leur permet notamment de remporter leur catégorie aux Mille Miglia, cette fameuse course entre Brescia et Rome.
La trajectoire de Jean Rédélé passe ensuite par les 24 Heures du Mans ou le Tour de France Automobile. En 1953, il touche enfin sa 4CV ‘Spéciale’. Pour sa première sortie, il remporte le 4e Rallye de Dieppe devant deux Jaguar et une Porsche! L’année suivante, l’équipage Rédélé / Pons décroche une troisième victoire de catégorie aux Mille Miglia, puis remporte la Coupe des Alpes. "C’est en sillonnant les Alpes à bord de ma 4CV que je me suis le plus amusé. J’ai donc décidé d’appeler mes futures voitures Alpine, pour que mes clients retrouvent ce plaisir", dira-t-il plus tard.
Car l’idée de créer sa propre marque taraude l’esprit de Jean Rédélé. C’est son beau-père qui l’aide à franchir le pas. Notamment propriétaire du Grand Garage de la Place de Clichy, situé rue Forest, Charles Escoffier est un des plus importants concessionnaires Renault de l’époque. En demandant à son gendre de l’aider à développer et commercialiser une série de coaches déjà commandés chez Gessalin & Chappe, il le conduit à créer la "Société des Automobiles Alpine", le 25 juin 1955. Il s’agit, aussi, de la fin de la carrière de pilote de Jean Rédélé.
A106: LE DÉBUT D’UNE FORMIDABLE ÉPOPÉE
En imaginant ses futures automobiles, Jean Rédélé voulait s’appuyer des principes élémentaires: une mécanique simple mais compétitive, utilisant un maximum de pièces de série et recouverte d’une carrosserie légère et attrayante. D’un certain point de vue, le coach imaginé par Charles Escoffier respecte ces prérequis… même si Jean Rédélé n’en assume pas vraiment la paternité! Dessiné par Jean Gessalin et construit par les frères Chappe, le premier prototype est présenté par Charles Escoffier au comité directeur de Renault en février 1955. Une fois l’homologation validée, c’est là qu’intervient Jean Rédélé. Il impose quelques modifications, issues des 4CV développées avec Michelotti. Le coach prend la dénomination A106: A comme Alpine et 106 en référence au nom de code de la 4CV, qui sert de banque d’organes.
Début juillet, trois exemplaires de l’Alpine A106 aux couleurs du drapeau français – une bleue, une blanche et une rouge – paradent dans la cour du siège de la Régie Renault, à Boulogne-Billancourt. Même s’il n’affectionne pas particulièrement la ligne de la première Alpine, Jean Rédélé n’en est pas moins fier d’être devenu un constructeur automobile à part entière. Mécaniquement, l’Alpine A106 conserve le châssis et les trains roulants de la 4CV. Le moteur à quatre cylindres en ligne de 747 cm3 est proposé en deux versions de 21 ch et 38 ch. Cette première Alpine se distingue avant tout par une carrosserie en polyester, collée au châssis d’origine de la 4CV. En option, il est possible d’équiper l’A106 de la boîte de vitesses à cinq rapports ‘Claude’, ou de la suspension ‘Mille Miles’ constituée de quatre amortisseurs à l’arrière.
Fidèle à ses principes d’amélioration continue, Jean Rédélé cherche sans cesse à faire progresser l’A106. Lassé des réticences de Chappe & Gessalin à faire évoluer l’A106, le Dieppois finit par ouvrir sa propre carrosserie: RDL. Cette prise d’indépendance se traduit par le lancement d’une version cabriolet, dessinée par Michelotti et présentée au Salon de Paris 1956. Une troisième variante est lancée en 1958: l’A106 "Coupé Sport". Il s’agit en fait d’un cabriolet sur lequel est soudé un hard-top! Avec 251 exemplaires produits entre 1955 et 1960, l’A106 a permis à Jean Rédélé d’installer son entreprise. Mais il ne s’agit que d’une première étape…